Droits de douane : la grande incertitude
L’imposition brutale de droits de douane additionnels par les États-Unis et leur retrait partiel quelques jours plus tard, brouille la stratégie commerciale américaine et sème le doute dans les filières.
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À la lecture de ces lignes, des évènements nouveaux sont susceptibles de s’être produits. C’est même probable. Depuis l’intronisation de Donald Trump pour son second mandat à la tête des États-Unis, c’est une habitude, les décisions radicales d’un jour sont parfois balayées par celles du lendemain. La journée du 2 avril, point d’orgue d’une bataille commerciale lancée fin janvier par le président américain est de celles-là. Alors que la majorité des partenaires commerciaux des États-Unis s’étaient vu imposés des « tariffs » douaniers additionnels « réciproques », fruits de calculs au mieux hasardeux, la plupart ont été mis partiellement en suspend quelques jours plus tard le 9 avril pour trois mois. La plupart seulement car un pays et non des moindres, la Chine qui avait immédiatement répliqué, reste au cœur d’une surenchère entre les deux puissances. Le dernier épisode en date, le 12 avril est un droit de douane de 125 % imposé par la Chine aux produits américains en réponse aux 145 % imposés par les États-Unis trois jours plutôt. Ces derniers ont depuis prudemment exempté certains produits de nouvelle technologie chinois. Les agriculteurs américains, grands soutiens de Donald Trump pourraient désormais s’en mordre les doigts, eux qui dépendent tant du géant asiatique pour exporter.
L’Europe suspend sa riposte
L’Union européenne se retrouve sur deux fronts. Celui des droits de douane spécifique sur l’acier et l’aluminium et celui des droits additionnels dits « réciproques » qui passent donc de 25 % à 10 % le temps de la suspension américaine. Si aucune riposte n’était sur la table pour ces derniers, un paquet de mesures incluant des taxes sur les produits agricoles américains, avait été voté le 9 avril par les États membres pour un montant de 21 milliards d’euros sur le dossier de l’acier et l’aluminium. Ce paquet étant divisé en 3 phases : jus d’orange et riz pour la mi-avril, céréales et viandes pour la mi-mai et enfin soja le 1er décembre. Le 14 avril, la Commission européenne a confirmé sa suspension pour 90 jours. « Nous voulons donner une chance aux négociations » a justifié Ursula von der Leyen dans un communiqué en ajoutant un avertissement. « Si les négociations ne sont pas satisfaisantes, nos contre-mesures seront appliquées. Les travaux préparatoires à de nouvelles contre-mesures se poursuivent. Comme je l’ai déjà dit, toutes les options restent sur la table ».
Possibles embouteillages au Brésil
« Notre principal sujet d’inquiétude, ce sont les mesures de rétorsion que pourrait mettre en place l’Union européenne (UE) vis-à-vis des États-Unis », souligne Valérie Bris, directrice Nutrition Animale à la Coopération agricole. À l’échelle française, les approvisionnements venus d’outre-Atlantique pour ce secteur d’activité sont mesurés. « En 2024, nous avons importé 198 000 t de graines de soja et 2000 t d’additifs ». La France n’importe que peu de graines de soja pour la trituration, à l’inverse de ses voisins européens.
« L’an dernier, l’Union européenne a importé 6 millions de tonnes de graines de soja en provenance des États-Unis, soit 44 % de son approvisionnement, poursuit la spécialiste. Si la graine de soja fait partie de la liste de produits faisant l’objet d’une riposte européenne sur les droits de douane, il faudra se rediriger vers des origines alternatives déjà fortement concurrencées comme le Brésil, faisant courir le risque d’un renchérissement global du coût de la protéine végétale ».
« L’UE importe la graine de soja américaine sur la période d’octobre à février, avant que la récolte brésilienne ne prenne le relais », explique Maxence Devillers, analyste chez Argus Media. Une saisonnalité qui a son importance, alors que l’UE prévoyait de taxer le soja américain importé à hauteur de 25 % à partir du 1er décembre. « Les opérateurs auraient pu anticiper et importer le soja de juillet à décembre. Ce sera peut-être un sujet dans trois mois, selon l’issue des négociations », note l’analyste.
Le 4 avril dernier, la Fédération européenne des fabricants d’aliments appelait ainsi à « exempter tous les produits agroalimentaires, y compris les ingrédients essentiels pour l’alimentation animale, des tarifs douaniers réciproques des États-Unis et de l’UE ». Au sujet des additifs, la Fefac a insisté sur « l’importance cruciale des coccidiostatiques produits aux États-Unis et utilisés par les aviculteurs comme antiparasitaires pour préserver la santé et le bien-être des animaux, des oligo-éléments, du sulfate de lysine ainsi que des probiotiques/postbiotiques. »
Une opportunité pour la France en maïs ?
Si l’UE est un acheteur irrégulier de maïs américain, pour la première fois, elle en a importé 3 Mt cette campagne, sur un total de 19 à 20 Mt. C’est la conséquence d’un problème de production en Ukraine et d’export au Brésil, ses deux principaux fournisseurs. « La demande locale brésilienne est exponentielle, pour alimenter des usines d’éthanol et le cheptel, si bien que le pays exporte moins. L’UE pourrait donc à l’avenir continuer à importer du maïs américain », détaille Maxence Devillers. La potentielle taxe de l’UE sur le maïs américain aurait eu peu d’incidence cette année car l’Europe a déjà importé les volumes des États-Unis. « En revanche, cela poserait problème pour la prochaine récolte », estime l’analyste. Les exportateurs européens de maïs, dont la France, y seraient, eux, gagnants, à condition que production comme qualité soient au rendez-vous.
Quant à l’escalade entre les États-Unis et la Chine, le second étant le premier acheteur de soja du premier, « elle est grotesque, estime Maxence Devillers. Le marché n’y croit pas. » À court terme, elle ne pose pas de problèmes de flux, les chinois n’achetant pas de soja américain à cette période de l’année. Si le différend durait, la Chine devrait s’approvisionner ailleurs, sachant que Brésil et Argentine ne pourraient pas tout fournir, et trouver d’autres sources de protéines, comme le colza ou le canola. « La Chine ne pourra jamais remplacer tout le soja importé des États-Unis, estime l’analyste. Elle n’aurait d’autres solutions que de rationner sa demande. » Quant aux céréales, la Chine s’est déjà détournée de l’origine États-Unis depuis un an, et son appétit est moins important que prévu. Si elle reste acheteuse de sorgho américain, celui-ci peut plus facilement être substitué, par de l’orge fourragère australienne ou française par exemple.
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